De temps en temps, on ouvre un livre*, et au lieu des mots, on voit le vent, le sable, la peau, la violence, la souffrance, l’espérance, la vulgarité (qui est belle lorsqu’elle masque le chagrin), on prend des coups, des caresses, des baffes, on est pris dans des bras, un tourbillon, une histoire, l’Histoire, et on en revient aux mots qui nous ont happés, transpercés, bouleversés, anéantis, ces mots qui sont le sang de ce texte.
De temps en temps, on tombe sur un tel livre et on se dit, qu’au-delà de l’intrigue, de la trajectoire des personnages, deux petites reines en l’occurrence – l’une, reine d’un village ancestral, prise à l’aube de sa vie, et déchirée, découpée, abattue, l’autre, prise à l’hiver de sa vie, reine triste, une pointe de Ionesco dans le cœur, qui attend la fin de sa pièce –, et on sait qu’on est tombé sur une pépite, qu’on vient de découvrir une langue nouvelle, tumultueuse et libre, et qu’elle changera notre vocabulaire.
De temps en temps, on découvre un tel premier roman et on se surprend déjà à guetter le prochain de son auteur, comme on guettait, enfant, le retour d’un ami qui bousculerait notre vie et nous ferait, dangereusement, sentir plus vivant encore.
*Petites reines, de Jimmy Lévy. Éditions du Cherche-Midi. En librairie depuis le 24 août 2017.