Page 107*, commence la plus terrifiante invasion de sauterelles que j’ai jamais lue – même celles qui dévorèrent ce qui avait survécu à la grêle, dans les Sept Plaies d’Égypte (Exode, 7-12) –, sont de la rigolade à côté. Cette déferlante est la violente métaphore de la vie d’Emma Picard, partie s’installer avec ses quatre fils en Algérie, dans les années 1860, contre la promesse d’une terre de vingt hectares, d’une ferme, et surtout d’un formidable espoir, le tout bien emballé par un petit fonctionnaire encravaté. Cette nuée d’orthoptères résume la désolation de cette famille (et de tant d’autres colons abusés), de tout ce qui est sans cesse à recommencer, sans cesse détruit ; de l’immense ingratitude de la vie, de l’absence ; de l’abandon surtout de Dieu. Emma Picard est une femme dont les bras sont trop faibles pour la tragédie (au sens le plus noble) qu’elle doit porter, et dont l’immense courage ne fait pas tomber la pluie ou remplir les puits, ni la foi ressusciter les enfants que broie la terre algérienne. Une femme inoubliable, en somme.
*Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, de Mathieu Belize, éditions Flammarion. En librairie.